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Mon oncle, Si El Hachemi !

 Mon oncle, Si El Hachemi !
Mon oncle, Si El Hachemi !

En 1955, à vingt ans, mon oncle, Si El Hachemi reçut son ordre d'appel pour partir accomplir son service militaire obligatoire dans une caserne de l'Armée Française. Mais pour lui, c'était l'occasion rêvée pour prendre le maquis conformément aux directives du FLN de l'époque. Avec les tout premiers groupes de maquisards, il sillonna la Kabylie de long en large avant d’être muté en R1 et R2 de la Z2 après le Congrès de la Soummam. L’Aln des années 57/58 sous le commandement de prestigieux chefs (Abdelkader El Bariki et Allaoua Ziaoual entre autres) damait le pion à l’armée Française et parvenait à lui infliger de nombreuses défaites.
Un jour, Si El Hachemi perdit sa casquette lors d’un violent accrochage avec l’armée Française. De retour au refuge avec ses compagnons, un homme de haute taille le transperça du regard et lui fit signe de s’approcher. C’était le Colonel Amirouche en tournée surprise dans la région.
-« Où est ta casquette ? » lui cria-t-il.
-« Je l’ai perdue pendant l’accrochage de ce matin et je n’ai pu la récupérer sous l’intensité du feu ennemi», répondit Si El Hachemi.
D’un geste rapide, le Colonel Amirouche enleva sa propre casquette et l’abattit violemment sur la tête de Si El Hachemi.
-« Voila! Je te donne la mienne mais gare à toi si je te surprends nu-tête une prochaine fois! ».
Lors d’une embuscade tendue à un convoi militaire sur un chemin vicinal, une voiture entre deux camions de troupe, fut touchée et ses occupants, un couple d’Européens et leur enfant blessés. L’enfant de 15 ans mourra. Si El Hachemi, qui a eu à affronter sur son chemin de combattant de nombreuses situations où l’horreur et les drames de la guerre n’étaient pas une vue de l’esprit, en gardera pour ce cas précis une profonde tristesse, « jamais on n’aurait tiré si on savait qu’il y’avait une famille de civils et surtout un enfant là-dedans !» dira t-il avec un regret, des années plus tard.
Pendant l'Opération Jumelles en 1959, il tomba avec son groupe dans une embuscade ennemie et fut grièvement blessé. Une balle lui traversa de part en part le flanc droit du thorax et il tomba à la renverse, inerte. Ses compagnons purent récupérer son arme et le laissèrent pour mort sur les lieux. L’armée Française le découvrit, gisant dans une mare de sang, mais il était encore vivant. Il fut transporté par hélico dans une caserne des environs, où, après deux mois oscillant entre la vie et la mort, il se réveilla de son coma. On le transféra de suite à la sinistre prison de Bourbaatache pour lui soutirer un maximum d'informations. Il faut dire que la première chose qu'on faisait aux prisonniers à leur arrivée à Bourbaatache c'était de leur déchirer les papiers d'identité, manière pas trop exagérée de leur signifier qu'ils n'avaient absolument aucune chance de s'en sortir vivants à moins de passer aux aveux. Là aussi, ce n’était pas une garantie suffisante pour avoir la vie sauve surtout si la victime présenterait des dommages dans son corps après son passage entre les mains des tortionnaires! Si El Hachemi fut emmené au-devant du sinistre Boulahia, ce Harki dont la sauvagerie n'a pas d'égale et qui était le chef impitoyable des tortionnaires sans foi ni loi, de véritables criminels de guerre en somme qui n’avaient rien à envier aux SS. Sa réputation de bourreau persécuteur sans état d’âme et cruel n’était pas surfaite et faisait trembler tout un chacun qui se trouverait devant lui ! Boulahia regarda le corps trop frêle et le visage livide de Si El Hachemi, s’assura de son identité puis s'écria" C’est la meilleur celle là! Le fils de Hadj Si Mohand Ameziane des Aït A*** !!!Mais Nom de Nom ! Comment se fait-il que le fils du Hadj soit parmi ces vauriens de Fellagas!! Il ne manquerait que cela! Un fils d'une honorable famille avec ces gueux de va-nu-pieds qui veulent combattre la France! On aura tout vu !". Et pourtant, le vieux Hadj n’était pas du côté Français, son autre fils Si Abdelkader avait déjà été tué auparavant par l’armée Française pour avoir été représentant du Fln dans un autre village de la région et sa fille Zineb est devenue jeune veuve puisque son mari est tombé lui aussi au champs d'honneur. Mais voilà et contre toute attente, Boulahia ordonna de l’emmener, non pas à la cave du sous sol qui faisait office de salle de torture et d’où s’échappaient, tout au long des journées, les horribles cris et les gémissements de douleur des suppliciés, mais à l'infirmerie pour qu’il lui soit prodigué des…soins ! C'était là peut-être le seul et unique geste de bienveillance accordé exceptionnellement, dans ce terrible endroit, à un maquisard pris au maquis. C’était un miracle et comme tous les miracles, cela reste inexplicable! Les autres mourraient sous la torture sur place ou dans les champs avoisinants, ou, on les relâchait en leur ordonnant de courir droit devant et on leur tirait dessus des rafales de mitraillette dans le dos. Beaucoup de figuiers en reçurent leur part de balles destinées aux prisonniers et furent cassés ou détruits! Les corps des victimes seront entassés sur une benne de camion et balancés par-dessus un petit pont, dans l’oued tout pré. La nuit, des hordes de chacals avaient l’habitude d’y venir se rassasier des nombreux restes humains, en poussant de longs et effroyables jappements. D’autres corps seront carrément jetés dans un puits au contrebas côté de la RN 12 qu’on pourrait encore voir de nos jours.
Remis de sa blessure, Si El Hachemi fut envoyé au terrible camp de Ksar Ettire où il y passa les dernières années de la guerre jusqu’à l’indépendance.
Je me rappelle alors que j’étais encore petit et pas tout à fait suffisamment conscient de ce que ces valeureux hommes ont enduré dans leur chair et dans leur esprit, de deux de ses nombreux récits, qui furent fixés à jamais dans ma mémoire. Si El Hachemi vif et d’une grande éloquence racontait comment un jour il fut jeté entièrement nu sur un rouleau de fil barbelé qui fait partie des chevaux de frise. Allongé sur le dos, on lui ligota les mains et les pieds et on lui badigeonna tout le corps de confiture en s’appliquant surtout sur le visage et notamment sur les paupières et les narines. Le soleil torride, la chaleur et la soif, le faisaient terriblement souffrir mais le pire c’était ces bataillons de fourmis, et ces essaims de guêpes, d’abeilles et de mouches qui, attirés par l’odeur de la confiture viennent dans un bourdonnement d’enfer, y festoyer avidement. Quand de souffrance, il essayait de bouger son corps ou sa tête, les pointes acérées du fil barbelé lui déchiraient la peau et s’incrustaient entièrement dans sa chair ensanglantée provoquant une insupportable douleur continue et permanente. Des dizaines de grosses mouches tournoyaient bruyamment et suçaient impitoyablement le sang qui suintait de son corps. De la gorge sèche et douloureuse, sortaient ses gémissements à peine audibles et il répétait inlassablement en murmurant dans une semi inconscience: « Mon Dieu ! Mon Dieu ! Reprenez mon âme et faites qu’on en finisse rapidement! »
L’autre récit me revient en mémoire à chaque fois que je revois cette photo. Si El Hachemi disait qu’il y ‘avait des jours ou on alignait les prisonniers sur une distance de un mètre entre l’un et l’autre, on leur donnait des pioches et on leur ordonnait de creuser chacun, un trou dont la profondeur devrait atteindre en une heure de temps, au moins 50 cm. Sauf que beaucoup d’endroits à creuser, s’ils possédaient quelques grammes de terre, étaient formés pour l’essentiel, d’immenses plaques de pierres qu’il fallait casser. Un travail de forçat avec des moyens rudimentaires. Les gardes chiourmes réservaient ces endroits rocailleux aux irréductibles, ces prisonniers considérés comme irrémédiablement irrécupérables et à chaque heure passée, ils revenaient pour constater, l’air faussement surpris, que les fainéants prisonniers rechignent à travailler et ne faisaient que discutailler paresseusement. Avec des gourdins, des casse-tête ou à l’aide de la crosse de leur arme, ils fonçaient rageusement sur les crânes des malheureux prisonniers. Certains d’entres eux, les plus vulnérables, déjà vidés et meurtris par la torture et les horribles conditions d’internement, restaient sur le carreau, ensanglantés et sans mouvement. S’ils ne se relevaient pas, c’est qu’ils venaient de passer de vie à trépas !
Dans le documentaire de Mr Oulmi consacré à Ksar Ettir, diffusé par la télévision, Si El Hachemi, figurait parmi les témoins. Silencieux, l’air absent, il y était présenté comme l’une des nombreuses victimes de ce sinistre lieu. Il n’a pu résister aux séquelles que lui a laissée dans le corps et dans l’âme, la mission civilisatrice du colonialisme Français. Sa mémoire en avait pris un coup et depuis 3 ou 4 ans, il ne se rappelle plus de rien.
Mais pourvu que la Nation n’oublie pas les sacrifices de toutes ces femmes et de tous ces hommes par qui l’indépendance est devenue réalité et qu’un hommage permanent leur soit rendu et c’est la moindre des choses.

L’autre récit me revient en mémoire à chaque fois que je revois cette photo. Si El Hachemi disait qu’il y ‘avait des jours ou on alignait les prisonniers sur une distance de un mètre entre l’un et l’autre, on leur donnait des pioches et on leur ordonnait de creuser chacun, un trou dont la profondeur devrait atteindre en une heure de temps, au moins 50 cm. Sauf que beaucoup d’endroits à creuser, s’ils possédaient quelques grammes de terre, étaient formés pour l’essentiel, d’immenses plaques de pierres qu’il fallait casser. Un travail de forçat avec des moyens rudimentaires. Les gardes chiourmes réservaient ces endroits rocailleux aux irréductibles, ces prisonniers considérés comme irrémédiablement irrécupérables et à chaque heure passée, ils revenaient pour constater, l’air faussement surpris, que les fainéants prisonniers rechignent à travailler et ne faisaient que discutailler paresseusement. Avec des gourdins, des casse-tête ou à l’aide de la crosse de leur arme, ils fonçaient rageusement sur les crânes des malheureux prisonniers.

Ethnopolis

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O
Bonjour ami!un recir authentique!mais quel est le nim de famille de si El hachemi.<br /> Mon pére en avait connu aussi les affres de ce camp de 1960 à fin 1961.
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